Le Cheval d’Odin
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Infini et abîme

mardi 15 février 2011, par Nimzovinec

Notre noble jeu est sous divers aspects, merveilleux remarquable mais ô combien difficile.

Il présente de multiples facettes selon l’angle sous lequel nous pouvons le regarder. Il suffit de se souvenir cette lancinante question : est-ce un art, une science ou tout simplement un jeu ?

Question lancinante qui à ce jour n’a pas encore trouvé de réponse définitive. Cette non-réponse est caractéristique de la richesse intrinsèque du jeu d’échecs, qui selon l’angle pris par un observateur, peut prétendre à chacune de ces catégories avec des éléments de réponses convaincants.

Mais nous pouvons poser le problème d’une autre façon, en suivant une autre approche.

Les possibilités du jeu d’échecs sont-elles finies ou bien infinies ?

Nous vous laissons démontrer la réponse à cette question, mais à l’évidence les possibilités de notre jeu sont limitées, finies.

Seulement voilà que surgit la première difficulté. Si ces possibilités restent finies, elles restent cependant inaccessibles à l’entendement humain !

Mais pourquoi donc demanderez vous ?

Uniquement parce que ce nombre de possibilités est extraordinairement élevé, bien trop élevé pour nous. Tellement astronomique, colossal, et immense, qu’il présente toutes les caractéristiques de l’infini.

Peut importe la valeur intrinsèque de ce nombre, il nous est à jamais inaccessible ?

Ce fait a-t-il une incidence sur notre propos ?

Hélas, trois fois hélas, oui...

Un système borné, un ensemble limité mais accessible à notre connaissance permet une analyse exhaustive de la part des chercheurs , analyse permettant de dégager une théorie . Ici, nous nous plaçons volontairement dans l’hypothèse que les échecs peuvent, par certains côtes, être assimilé à une Science.

Les scientifiques connaissent bien cette notion de théorie. elle doit répondre à deux impératifs incontournables :

1. Pouvoir expliquer les faits soumis à notre connaissance,

2. Pouvoir prédire de nouveaux faits ou des conséquences non encore accessibles à notre connaissance.

Cette dernière contrainte est fondamentale, car c’est seulement elle qui permet de caractériser la justesse et la robustesse d’une théorie.

Prenons un exemple relativement simple : la théorie de la relativité.

Cette théorie permet d’expliquer l’ensemble de tous les faites soumis à notre connaissance immanente.

Mais ceci est-il suffisant ?

D’autres théories permettent également de décrire ces faits !

Alors comment choisir, comment trancher ?

Nous en arrivons au deuxième point. En appliquant cette théorie de la relativité dans le domaine de l’astrophysique, des conclusions, des conséquences théoriques inattendues ont émergées ; par exemple les lentilles gravitationnelles, faits non connus à l’époque et non observés.

Nous y voilà, les chercheurs savaient maintenant dans quelles directions chercher et ils ont réussi à découvrir ce phénomène bien réel, mais non observé jusqu’ici.

Cet exemple représente la meilleure preuve de la justesse et de la robustesse de cette théorie ; les théories alternatives ne permettant pas d’expliquer ce phénomène ?

Revenons, maintenant a notre noble jeu.

Possédons-nous, aujourd’hui une théorie globale ? du jeu d’échecs, théorie respectant les deux contraintes ci-dessus évoquées ?

La réponse est malheureusement non !

La connaissance que nous pouvons avoir du jeu d’échecs nous ne permet pas à ce jour de faire émerger une théorie satisfaisante.

Mais, notre situation n’est pas si catastrophique que cela. L’expérience, la pratique assidue et constante nous a permis de forger des outils, des éléments de réponses, quelques briques éparses qui certes ne forment pas une théorie, mais nous aident bien dans la conduite de chaque partie.

Nous savons maintenant comment lutter contre un pion isolé, comment utiliser le potentiel d’une colonne ouverte, comment valoriser la force intrinsèque d’un pion passé éloigné, etc...

Oui mais voilà, ces éléments de réponses, ces briques élémentaires du jeu positionnel, ne constituent que des réponses partielles adaptées à une caractéristique unique présente dans une position donnée. Une telle brique est donc uniquement adapté à une typologie donnée.

Si notre partie, notre position, ne présente qu’une et une seule typologie, la brique élémentaire que nous évoquons peut prétendre à un pseudo statut de théorie. En effet, elle explique bien le fait, la typologie, la façon de s’y prendre, mais permet également, par certain côté d’être prédictif (au sens de notre deuxième contrainte) en prédisant de bonnes (très) chance de victoire.

Mais il nous faut bien reconnaître que ce cas idéal, une position mono typique, reste du domaine de l’exception.

La dure réalité de la pratique nous le prouve avec constance.

Par essence, nos parties, nos positions présentent de multiples typologies. Certes, les différentes typologies prises séparément peuvent être appréhendées par des briques spécifiques. Mais le joueur se retrouve face à de nombreuses difficultés : comment à partir de ces briques élaborer un plan d’ensemble cohérent en prenant en compte toutes les contraintes induites par ces briques, voire même des incompatibilités manifestes ?

Exercice extrêmement délicat que nous rencontrons systématiquement dans nos parties, en pestant et regrettant l’absence d’une théorie globale qui pourrait ici nous être d’une aide très précieuse.

Résumons, donc, la situation où nous nous trouvons.

Sur l’échiquier se présente une situation complexe, et comme à chaque fois, constituée de plusieurs typologies différentes.

Damned !

A notre disposition point de théorie, mais des outils, des briques élémentaires disparates et diverses.

Sous le tic tac lancinent de la pendule et le regard goguenard de notre adversaire du jour, nous nous plongeons dans une longue et immense réflexion.

Et que se passe-t-il alors ?

Plus notre analyse et notre réflexion progressent, plus les difficultés s’amoncellent.

Nous sommes face à une multitude de possibilités et face à un abîme d’indécisions.

Savoir que les possibilités inhérentes à la position présente sous nos yeux sont limitées en quantité ne nous aident que peu dans notre choix. Ces possibilités sont tellement complexes et nombreuses quelles présentes tous les caractériels de l’infini.

Et face à cette infinité de complexité répond un abîme d’indécisions ?

Infini et abîme !

Sortir de cette impasse c’est de l’Art, du grand Art !

Et cependant, parfois, sans avoir pris trop de temps de réflexion et sous le regard éberlué de notre adversaire du jour, nous sommes capables, délicatement, avec grâce et délectation de planter un coup qui s’inscrit parfaitement dans les impératifs de notre position et qui présente toutes les caractéristiques du bon coup !

Mais pour une solution aussi magnifique que celle ci, par quelle quantité de souffrance de doute et d’incertitudes nous sommes passés.

En fait, quand nous plantons ce coup, nous ne savons même pas que c’était Le coup !

Tout au plus, avons-nous le sentiment que c’est un bon coup.

Mais pourquoi autant d’indécisions et de doutes ?

Parce que, face à notre damnée position, nous n’avons pas connaissances de la totalité des tenants et des aboutissants. Nous ne pouvons pas, sauf exceptions, faire d’analyse exhaustive des potentialités présentes, mais nous devons cependant prendre une décision.

Face à l’infini d’une part, et à l’abîme de l’autre, notre réponse n’a aucun caractère d’absolu ; elle ne peut qu’être relative, incomplète et partielle. C’est ce que nous appelons le plan .

Le plan, ne représente donc, qu’une solution imparfaite au problème que nous posent une position, une partie d’échecs.

Par extension et approximation, nous pouvons considérer le plan comme une solution approchée et sans doute inexacte du problème qui nous est posé par la position, en l’absence de théorie globale.

Dans un article précédent nous avions donné une définition du Plan :

Le plan correspond à une description énergético-mécanistique du relâchement des tensions en fonction de la dégradation de la position, sur la base d’une simplification des schémas conceptuels phénoménologiques, en ne retenant que les mécanismes dimensionnants au cours du temps vis à vis de relâchement des tensions et dont les paramètres sont (ou seront) accessibles à la connaissance.

Face à l’absence de théorie globale du jeu d’échecs, le joueur est confronté, pour résoudre les tensions induites par la position, à une infinitude de complexités et de possibilités d’une part, et à un abîme d’indécisions d’autre part. Sa seule possibilité pour essayer de résoudre ce problème est de limiter les variables à prendre en compte, de simplifier autant que faire se peut les tenants et les aboutissants. A l’issue de cette simplification/approximation il lui sera alors possible d’établir un schéma directeur, un guide ce que nous appelons un Plan.

Ce Plan n’est bien évidemment pas La solution du problème posé par la position, il représente le meilleur compromis possible, à un moment donné et en fonctions des éléments disponibles accessibles à sa connaissance entre ces deux notions que nous avons introduites : l’infini d’une part et l’abîme de l’autre.

Pas de vérité absolue, pas de solution définitive, nous sommes de pleins pieds dans le domaine de l’évolutif, du subjectif, bref du relatif.

C’est, sans aucun doute, cette caractéristique intrinsèque qui constitue l’essence même de la difficulté du jeu d’échecs. En effet, à chaque coup qui passe nous devons bien prendre des décisions vitales sans pour cela connaître toutes les contraintes, ni même toutes les conséquences de nos actes.

Et la pratique de notre noble jeu par correspondance dans tout cela ?

Hélas, trois fois hélas !

Cette pratique merveilleuse ne fait qu’empirer les choses !

Comment cela direz- vous ?

Avec un temps de réflexion quasi infini, le joueur devrait pouvoir être capable d’approcher la vérité, non ?

Hélas,

Ce temps de réflexion mis à sa disposition dans le jeu par correspondance va avoir une conséquence inattendue et paradoxale. Il va, si c’était encore possible, accentuer le trouble du joueur en maximalisant l’infinité des possibilités de la position, mais également l’abîme d’indécisions qui l’habite !

Hé oui, plus nous réfléchissons sur une position ’plus nous découvrons des choses et plus notre indécision augmente. Plus nous avons le temps de réfléchir sur une position, plus nous maximalisons les deux infinis qui nous entourent.

Le joueur d’échecs est donc soumis à une tache bien ingrate. Il doit évoluer et prendre des décisions dans un environnement évolutif, sur la base de données partielles, voire même inaccessible à sa connaissance. Il doit prendre des décisions dont les conséquences elles même lui sont inconnues.

Cette tâche paraît impossible à réaliser, tant les contraintes sont énormes.

Et pourtant parfois, quand la grâce nous touche, nous sommes capables de résoudre cette difficulté !

Mais comment donc pouvons nous y parvenir ?

Cela ressemble à de la sorcellerie !

Dans ce cas nous pouvons lire des commentaires comme :

  • C’est du grand Art,
  • C’est quasi magique,
  • Le jeu de M. X est surhumain ?
  • Tel joueur est touché par la grâce,
  • etc...

Que des appréciations subjectives démontrant bien que le cheminement de pensée du joueur, qui vient de réaliser cet exploit, reste incompris même de la part de ces confrères.

Cette incompréhension semble due au fait que pour résoudre son problème, le joueur a fait appel à autres choses qu’un raisonnement purement mathématique et absolu.

Face à l’infini d’une part et à l’abîme d’autre part, il a réussi l’exploit de résoudre la quadrature du cercle. Son raisonnement, d’une logique d’acier, comporte cependant, et heureusement, des facteurs subjectifs.

Subjectifs disons-nous !

Dans la résolution de son problème, des facteurs comme la personnalité du joueur, son expérience, son intuition, etc’vont peser lourdement dans la balance.

Et voilà le mot est lâché : intuition !

L’intuition du joueur d’échecs, c’est ce flair, cette capacité extraordinaire de pouvoir faire une synthèse sur des bases non exhaustives.

C’est cette caractéristique qui lui permet, avec une telle aisance que son adversaire en reste quoi, d’affronter l’infini et l’abîme.

C’est ce pouvoir, quasi magique, qui lui permet de conduire sa partie sur des bases logiques mais cependant non objectives, qui lui permet de balayer d’un revers de la main toutes les difficultés inhérentes à la position, voire celles produites par son adversaire.

Mais alors, est-ce à dire qu’a capacité échiquéenne égale, ce qui constitue la différence entre deux joueurs est l’intuition ?

Mais alors, comme nous avons vu que la pratique des échecs par correspondance avait comme conséquence de maximaliser à la fois l’infini et l’abîme, est-ce à dire que la différence entre un joueur pendule et nous autres joueurs par correspondance (à capacité échiquéenne égale), c’est l’intuition .

Répondre à ces questions c’est se prononcer sur ce que les mathématiciens et les logiciens appellent condition nécessaire et suffisante.

Résoudre les problèmes posés par la position, nous l’avons vu, nécessite l’utilisation de l’intuition. L’intuition est donc nécessaire, mais est-ce suffisant ?

Il se pourrait bien que la réponse soit définitivement oui à la première question !

A capacité échiquéenne égale, ce qui constitue la différence entre deux joueurs est l’intuition.

Et pour la deuxième question ?

La différence entre un bon joueur pendule et son équivalent correspondance réside-t-elle dans l’intuition ?

Si la différence entre ces deux pratiques du jeu d’échecs réside uniquement dans le fait que la correspondance maximalise à la fois l’infini d’une part et l’abîme d’autre part, alors oui, définitivement la réponse et oui !

Mais est-ce bien le cas ?

D’autres facteurs n’interviennent-ils pas ?

Le jeu d’échecs est une lutte entre deux personnes, sur un terrain de bataille qu’est le jeu d’échecs. Ce ne sont pas les pièces qui de leur propre initiative bougent, combinent et matent.

C’est l’homme qui est aux commandes. Et l’homme joue dans un environnement donné. Il peut être fatigué, malade, soucieux, sensibles aux conditions matérielles qui entourent la partie, voire sensible à l’impact psychologique induit par son adversaire, etc...

La pratique de la correspondance pondère certains de ces facteurs, en atténue certains et en accentue d’autres.

L’homme peut toujours être fatigué, malade, soucieux, mais ces facteurs vont évolués dans le temps.

La correspondance va influer plus fortement sur les conditions matérielles du jeu et sur l’impact psychologique induit par son adversaire.

Normalement les conditions matérielles de jeu vont s’améliorer, par certains côté (nous jouons à la maison, au calme, etc...), mais peuvent cependant se détériorer par d’autres aspects (nous sommes plus sensibles aux interférences de la vie familiale).

De même la correspondance, si elle supprime la présence physique de l’autre, (son regard, ses gestes, ses attitudes, etc..) ne supprime pas totalement son impact émotionnel et psychologique.

Nous ne pouvons, donc pas, comparer de façon précise l’incidence de ces deux pratiques de notre jeu, par rapport à la seule et unique intuition, car d’autres paramètres entrent en jeu.

Certes ces autres facteurs entrent en jeu. Cependant nous pouvons quantifier, même si ce n’est que de façon qualitative l’incidence de ces facteurs.

Il semble bien que la pratique du jeu par correspondance va avoir comme tendance d’améliorer les conditions que nous avons évoquées ci-dessus. Elle amène un plus dans le confort du joueur. Seule la sensibilité aux perturbations induites par le milieu familial pourrait être une spécificité négative.

Que conclure sur ce sujet, et sur notre deuxième question ?

L’intuition, même si elle demeure le facteur prédominant, n’explique pas à elle seule les différences entre le jeu pendule et le jeu par correspondance.

Au terme cette analyse philosophique, reposons-nous la question initiale et lancinante : les échecs sont ils une science, un art ou bien seulement un jeu ?

  • Un jeu : indubitablement les échecs sont un jeu. Mais sa richesse et sa profondeur militent pour que les échecs soient bien plus qu’un simple jeu, bien plus que le Roi des jeux.
  • Un art : l’art fait appel aux émotions, ce qui n’est pas l’objet du jeu d’échecs. Cependant certaines parties vont faire naître en nous des émotions profondes ; et dans ces cas là, les échecs rejoignent par certains côté le domaine de l’art.
  • Une science : l’absence de théorie globale de notre jeu nous oblige à admettre que les échecs ne sont pas une science exacte. Cependant certaines réalisations semblent bien présenter toutes les caractéristiques d’une science : rigueur, logique, etc... Et dans de tels cas le plan élaboré par le joueur semble bien être la solution scientifique aux problèmes que représente la partie d’échecs. Les échecs, par certains côtés, rejoignent, donc le domaine de la science.
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