COUPE DU MONDE X11 Prel. Section 15, 2000
Jean-Marc YVINEC France-Jürgen TREUTLER Allemagne
1. e4 ç5 2. c3 ..
Après les coups initiaux : 1. e4 c5, 2. c3 constitue la variante Alapin de la Sicilienne. Cette variante à un certains nombres de mérites dont celui de ne pas rentrer dans la variante ouverte par 2. Cf3 suivi d ?un d4 précoce. De marginal, cette suite est devenue avec le temps une continuation à part entière et parfaitement « jouable ». Les idées derrière ce coup sont relativement simples et reposent sur des considérations positionnelles solides. Un des reproches que nous pouvons formuler contre la suite classique et quelle implique l’échange de notre pion central d4 contre un pauvre pion de l’aile, le pion c.
La variante Alapin permet en effet de reprendre, si nécessaire, en d4 par le pion c !
Mais ce n’est pas tout. Une lecture approfondie du merveilleux ouvrage de Kmoch « L’art de jouer les pions » est remarquable en ce qui concerne notre analyse. En effet, dans le chapitre concernant la défense sicilienne, Kmoch remarque, à juste titre, que la meilleure réaction noire consiste en une démonstration agressive sur l’aile dame par une avance violente des pions (a6, b5 suivi de b4). Cette démonstration est qualifiée par Kmoch de véritable attaque de « minorité » !
D’après cet auteur la véritable force de cette attaque réside dans le peu d’ « empan » ou d’espace disponible derrière le pion c2 pour organiser la défense, sans parler de la pression exercée de façon indirecte sur e4. La découverte d’Alapin permet d’éviter tous ces désagréments ! En effet, le pauvre pion b5 ne trouveras jamais de cavalier c3 à pourchasser et pour cause ! De plus un éventuel échange en d4 ouvrira la colonne c pour les deux joueurs ou alors les blancs bénéficieront de la « fameuse » majorité à l ’aile dame. Voilà le décor positionnel planté.
Tout cela semble être magnifique et idéal pou les blancs si ce n ’était la relative lenteur de leur jeu !
C’est cette dernière considération qui à poussée pas mal de commentateurs à porter des jugements plutôt réservés sur cette continuation jusqu’à ’à ce qu ’un joueur comme Sviechnikov ne démontre, et ce de façon éclatante, la vitalité et la viabilité de cette approche.
Un autre avantage de cette variante, comme bien d ’autres où les blancs jouent avec « la nulle en poche », c ’est la relative sécurité quelle procure au conducteur des blancs. En effet dans des variantes plus tendues, la moindre inexactitude blanche fait basculer la partie. Ici, une inexactitude blanche (légère) n ’aura pas les même conséquences, la position ne basculera pas, elle deviendra simplement totalement égale. Il faudra attendre une deuxième inexactitude, pour que là aussi elle bascule vers un avantage noir.
Face à 2. c3, la théorie préconise 2 .Cf6 et 2 d5.
Ces deux « contres » reposent sur des idées différentes :
2 .Cf6 met en avant la non-défense du pion e4 par le cavalier c3 et propose une philosophie de jeu proche de l ’Aleckine.
2 .d5 est une toute autre approche. L ’absence du Cc3 doit permettre une sortie moins « risquée » de la dame noire ! Et que diable, un contre central (d5) doit bien être la réponse correcte à une avance latérale (c3) ! ! Peut-être..peut-être mais souvenons-nous que rien n ’est simple dans ce jeu que l ’on nomme « échecs » ! En effet, il faudra bien un jour accepter l ’échange en d4 et alors le Cb1 pourra « sortir » en c3 avec force et gain de temps sur la pauvre dame noire.
La suite 2 .Cf6 et la plus souvent recommandée dans la littérature.
2. Cf6 3.e5 Cd5 4. d4 çxd4 5. Dxd4 ( !)
Ce coup semble en complète contradiction avec l ’analyse ci-dessus !
Pourquoi jouer 2. c3 si ce n ’est pas pour reprendre en d4 avec ce pion Cette reprise en d4 par le pion ç est la suite historique. Plus récemment une continuation de gambit à vue le jour avec 5.Cf3 laissant aux noirs la possibilité de prendre le pion en ç3.
Les sorties « précoce » de la Dame sont en général mal perçues par les théoriciens. En effet, il n ’est pas rare de voir cette dame errer à travers tout l ’échiquier, poursuivie par les hordes ennemies, permettant à l ’adversaire de terminer son développement et de prendre l ’initiative.
Ces considérations sont exactes et doivent être prises comme des inconvénients potentiels du coup de Dame. Cependant, cette sortie « précoce » peut, dans certain cas, avoir des aspects positifs qui viennent pondérer ces risques. Et la question devient : les avantages contrebalancent-ils les inconvénients ? Si la réponse est OUI, alors un tel coup est jouable !
L ’idée fondamentale de la sortie de la Dame dans cette position est d ’obliger les noirs à soutenir le Cd5 par l ’avance e6, gênant quelque peu la mobilité du Fc8. En d ’autres termes les blancs espèrent générer une légère fixation dans la position adverse basée sur une restriction de la mobilité du Fc8 ; c ’est typiquement ce que le grand Nimzovitch a appelé le handicap.
Une autre idée du coup de Dame consiste dans un refus de la part des blancs de s ’engager dans des « grandes variantes », mais plutôt de proposer des continuations plus marginales en espérant sortir l ’adversaire de ses préparations maison. Il convient également de noter que les références bibliographiques concernant cette variante sont relativement rares et quand elles existent pas toujours objectives.
5 .. e6 6. Cf3 Cc6 7. De4 d6
Une suite plus tumultueuse est : 7 f5 amenant des positions beaucoup plus complexes sur le plan stratégique, où le pauvre fou ç8 devra chercher une éventuelle activité depuis b7.
La suite du texte, plus calme, semble être la variante principale et la plus naturelle. En effet quoi de plus naturel que de prendre pied au centre tout en questionnant le pion en e5 !
Le pion e5 représente toute la force de handicap des blancs, il doit être considérer comme un « bloqueur » du pion e6. Il convient de le maintenir en vie le plus longtemps possible, mais son éventuelle disparition ne doit pas perturber outre mesure les blancs s ’ils parviennent à maintenir leur handicap, c ’est-à-dire à empêcher l ’avance du pion e6.
8. Fb5 ! Fd7 9. ç4
Après 9.ç4 les inconvénients du 2° coup blancs disparaissent. Cette avance vigoureuse à des visées multiples :
libération de ç3 pour le Cb1,
contrôle de d5 et du centre,
contrôle de b5,
gain de temps sur le Cd5.
On remarque donc, que les blancs, dans la lutte pour le centre, s ’orientent plus vers l ’option contrôle que vers l ’option occupation par des pions (cette dernière approche étant la suite « naturelle » de 2. ç3). C ’est cette richesse de plans stratégiques qui rend la continuation d ’ALAPIN si attrayante pour certains joueurs dans leurs rencontres avec la Sicilienne.
9......Cb6
Certes ce cheval doit quitter sa position centrale, mais pour aller où ?
Il dispose de 2 cases de valeur très différente : b6 et ç7.
Dans l ’optique d ’une lutte pour le contrôle du centre et de é5 en particulier, le recul en ç7 me semble préférable. Le déplacement en b6 est plus routinier, et sans doute moins précis !
9. exd6
Absolument pas forcé et peut-être pas le plus précis (10.Cç3 ! ? a6 11.Fg5 Zifroni-Wojttiewics 1997).
La partie quitte maintenant la phase d ’ouverture pour entrer dans le milieu de jeu. Pour le moment les blancs maîtrisent relativement bien la situation. Face à la Sicilienne ils ont imposé la variante Alapin, puis la sous-variante 5.Dxd4 et enfin la manœuvre 8 Fb5 suivi de 9.ç4, obligeant les noirs à utiliser pas mal de temps de réflexion.
Ils choisissent maintenant une continuation agressive à base de sacrifice de pion, mais une petite surprise les attend !
10... Fxd6 11. 0-0 a6 12.Td1
La justification de l’échange du 10° coup. Les blancs entament un jeu actif au centre mais laissent « filer » un pion.
Bref c ’est un gambit !
Et comme dans tout gambit, la question des compensations va se poser.
12.... axb5 !
Enfer et damnation !
L ’acceptation du sacrifice de pion n ’avait pas du tout était sérieusement envisagé par les blancs !
Ces derniers ont fait une erreur terrible et malheureusement très répandue. Elle consiste à suivre aveuglément (et sans se poser de question !) une suite livresque. Et quand la surprise survient c ’est trop tard ! Fini les rêves d ’avantage, fini les espoirs que les blancs avaient dans cette phase débutale de la partie. Un nouveau combat commence ?et les blancs ne disposent plus du « leadership » psychologique qu ils pensaient avoir obtenu.
13.Txd6 Cxç4 14.Td1
Une partie Rei-Pitkaranta (corr.1991) a continuée par 14.ç5 Cç4 15.Td1 Dxc5 16.b3 C4è5 17.Fb2 f6 et nulle.
14 .. Dè7
14.Cè7 est moins précis car permet aux blancs de glisser 15.b3 suivi de 16.Fb2 (Johansson-Westlund 1998.1/2-1/2)
15. Cç3 Cç6-a5 16.Dè2 ! ?
La présente situation n ’est pas claire, et le jugement de la position n ’est absolument pas évident !
Les blancs ont-ils des compensations ?
Si les compensations existent, sont-elles suffisantes ?
Face à ces questions et n ’ayant pas toutes les réponses, les blancs assortent leur 16° coup d ’une proposition de nulle que les noirs refusent très poliment !
Les doutes s ’installent dans l ’esprit des blancs, ils commencent à ne plus aimer (à tord ou à raison) la position.
Des facteurs psychologiques sont également à l’œuvre dans cette proposition de nulle : il faut la considérer dans une optique globale de « la lutte », en d’autre terme cette proposition est un véritable « ballon sonde » permettant aux blancs de mieux cerner l’état d’esprit dans lequel se situe le conducteur des noirs. Un autre point est à prendre en compte à cet instant précis de la partie : les noirs sont en zeitnot ne disposant plus que de 3 jours de réflexion avant le contrôle du temps !
16...Fc6 17.Cd4 O-O 18.Cd4xb5 ! ?
Il y avait peut-être mieux à faire que de récupérer ainsi le pion du gambit. Mais quoi ?
Certes rétablir l’équilibre matériel c’est bien, mais cela ne doit pas trop dégrader les perspectives blanches. Ce coup est peut-être une perte de temps, mais ce qui est sur, c’est qu’il ne fait rien pour le développement
Les inconvénients d’une telle approche sont évidents, cependant c’est bien cette suite que les blancs acceptent de jouer et le pire c’est qu’ils ont bien conscience des difficultés à venir !
Alors inconscience ou bien masochisme ?
18..... Dç5
Les noirs prennent possession de l’aile dame et y provoquent des affaiblissements.
19. a4 ! ?/ ? !
Un coup responsable. Les blancs tentent un blocus total de l’aile dame en y acceptant des faiblesses.
Une suite plus « calme » est :
19.Cd4 Tfd8 20.Fé3 Cxe3 21.fxe3 e5 22.Cxc6 bxc6 23.TxT TxT avec égalité.
19 .. Cb3 20.Tb1 Ta8-d8
La tour a8 ne trouvant rien sur la colonne a (un des points positifs de 19.a4) se recycle au centre.
Les noirs sont mieux. Ils ont résolu de façon satisfaisante les difficultés de l’ouverture et tous les espoirs leur sont permis dans la phase suivante du combat. Le seul point « noir » de leur partie n’est pas sur l’échiquier. Pour parvenir à cette position avantageuse pour eux, ils ont investi pas moins de 75 jours de réflexion. Et le règlement est formel : faute ! ! Le manque de temps de réflexion va jouer un rôle non négligeable dans la suite du combat, nous y reviendrons.
Les carences de la position blanche sont nombreuses et profondes. La situation est en train d ?échapper complètement à leur contrôle et des contre-mesures urgentes et radicales doivent impérativement être prises et ce dans l’unique but de « survivre » !
l’urgence, et l’urgence absolue est le développement. Sortons les pièces ?et regardons après ce que l’on pourra en « tirer ». Comme plan de jeu c’est un peu juste, mais l’urgence est bien dans le court terme, voire le très court terme. J ?aime cette expression « survivre », car elle exprime parfaitement l’état d ?esprit des blancs à cette étape de la partie.
21.Ff4 e5 22.Fg5 f6
Les blancs vont maintenant se lancer dans une véritable séance de spiritisme. Une analyse profonde de la position révèle deux caractéristiques dans la disposition des forces noires :
Un cavalier non défendu en b3,
Une légère faiblesse de la diagonale italienne.
Par un « tour de passe-passe » ils vont réussir à échanger quelques pièces, et à développer leur aile dame.
23.Txd8 Txd8 24.Td1 ! Cb3-d4 25.Cb5xd4 Txd4 26.Fç1
Fin de la séance de spiritisme. Mais il faut convenir que si les blancs ont progressés, ils sont loin d ?avoir régler la totalité de leurs problèmes. Les noirs sont toujours mieux !
26...Db4
Et 6 jours de pris pour ce déplacement de la Dame !
27. h4 !
Une phase nouvelle commence. Les blancs, après une longue réflexion, ont choisi cette suite agressive en toute connaissance de causes. Leur analyse est relativement simple. Les noirs sont mieux, ceci est indéniable. Cependant leur roi semble un peu seul dans sa forteresse (les forces noires occupent l’aile dame et la séance de spiritisme à laisser la 8° traverse noire sans défenseur), aussi les blancs veulent porter leurs efforts dans ce secteur ?d ?où le choix du texte !
Si les noirs refusent ce gambit ( !) le pion continuera sa progression vers le roque noir, si les noirs le prennent que reste-t-il comme compensations blanches ?
Les blancs tentent par tous les moyens de compliquer la position, de poser le plus de problèmes aux noirs ?et prennent acte de la difficulté qu’ils (les noirs) rencontrent dans leur gestion du temps de réflexion.
27....Txh4
Suivi par 8 jours de réflexion !
Deuxième zeitnot pour les noirs, mais avec une épée au-dessus de la tête !
28.Cd5 !
La justification du sacrifice de pion. Au sens de SPIELMAN, 27.h4 constitue un sacrifice de déviation ; la tour d4 à été déviée de d4 d ?où elle contrôlait d5.
28...Dd6 29.g3 ! Td4 30.Txd4 exd4
Les derniers coups noirs ont été joués à « tempo ». Fin du second zeitnot !
31.Ce7 ! Rf8
Les noirs recommencent : 11 jours de pris pour ce déplacement royal !
32.Dxç4 !
La pointe de la combinaison blanche, 31.Cxf6 regagne bien le pion mais retombe dans les erreurs du 18° coup. Au lieu de perdre du temps à courir après l’équilibre matériel, les blancs préfèrent exposer le monarque adverse afin de se préserver du contre-jeu.
32...Rxe7 33.Dg8
Pour la deuxième fois les blancs proposent la nulle !? que les noirs refusent.
Il faut bien reconnaître que depuis le 27° coup l’initiative est passée entre les mains des blancs, mais est-ce suffisant pour la nulle ? Peut-être, peut-être. Il suffirait que ce damné fou c1 entre en jeu pour que ce rêve devienne réalité, mais pour le moment ce n’est pas le cas. Si les blancs se sont bien rapprochés de la « nulle » il leur faut encore travailler un peu ?
l’espoir, toujours l’espoir ! !
33...g5
Et encore 8 jours de pris !
Début du troisième zeitnot !
La cadence du jeu noir va maintenant s ?accélérer ?au détriment de la précision technique et de la qualité de leur jeu.
34 Dxh7 Rd8 35.Df5 !
Après avoir récupérer le pion mais avec gain de temps, la dame se recentre. Il ne faut pas laisser aux noirs la possibilité de monter une batterie sur la grande diagonale blanche. Une fois ce danger écarté, les fous de couleur opposée vont pouvoir s ?exprimer.
35...Fd7
Ce fou quitte une superbe diagonale, allez savoir pourquoi !
36.Da5 Re7
Une agréable surprise pour les blancs qui attendaient 36...b6.37.Da8 etc..
Le malheureux Fc1 peut enfin bouger, certes de façon modeste mais il va pouvoir participer au combat.
Le « spectre » de la nulle se rapproche ?pour le plus grand plaisir des blancs.
37.Fd2 b6 38.Db4 Re6
Question : quel est le sens des 4 derniers coups noirs ?
Quel plan poursuivent-ils (les noirs) ?
39.Dxd6 Rxd6 40. b3
Il est important de soustraire la case ç4 au roi noir.
40...g4
Et nulle sur proposition des noirs que les blancs acceptent immédiatement en poussant un gros « ouf » de soulagement !
Cette partie comporte trois phases bien distinctes :
Le début a proprement parlé (du 1° au 9) coup, et une parie de milieu de jeu (du 10° au 13°coup),
Une phase de repli et de consolidation (du 14° au 26° coup),
Une phase de conte-attaque et de recherche de contre-jeu (à partir de 27.h4 !
Chacune de ces phases est intéressante et ce à plusieurs niveaux.
Premièrement on voit les blancs relativement à l’aise et imposer leur propre volonté dans le choix du terrain (et des variantes) où va se dérouler le combat à venir. Ils imposent la suite d ?Alapin avec 2.ç3, puis la continuation 5.Dxd4 et enfin la séquence Fb5/ç4 espérant ainsi monopoliser le « leadership » sur la position.
Dans un deuxième temps, et suite à une « catastrophe » ( !) dans leur préparation maison on les voit changer brutalement leur fusil d ?épaule, abandonner tout espoir d ?avantage immédiat et se concentrer sur ce que l’on peut appeler une phase de repli et de consolidation et ce dans l’unique but de « survivre » à court (très court) terme.
Dans un troisième temps, après avoir réussi à alléger (autant que faire se peut) certaines difficultés de leur position, nous les voyons se lancer dans une recherche désespérée de contre-jeu en portant tout le poids de la bataille sur l’aile roi et notamment en essayant systématiquement d ?exposer le monarque noir ?pour aboutir à un partage des points.
Cette nulle a cependant un goût amer. La défaite a été bien proche. l’erreur des blancs a consisté à faire totalement confiance dans la littérature, sans se poser de questions, sans réfléchir par eux même. Leur préparation maison s’est avérée être incomplète et un peu (ho, le bel euphémisme que voilà ! ) légère ?
Heureusement pour eux qu’un mal récurent semble avoir frappé les noirs, et ce mal se nomme : ZEITNOT !