Gambit Evans

Jouer un gambit est de nos jours une activité peu banale ! Pour un certain nombre de raisons, actuellement peu de joueurs pratiquent régulièrement des gambits.

Le gambiteur fait partie d’une espèce à part. Certes pour gagner une partie d’échec il est nécessaire de prendre des risques, mais ces risques doivent être pesés, analysés et acceptés par le joueur. En résumé il faut savoir ce que l’on fait !

Beaucoup de choses ont été écrites sur les gambits, certaines sont exactes d’autres parfois sont erronées, ceci est parfaitement vrai pour les réfutations officielles qui souvent n ?ont de réfutations que le nom !

Pourquoi jouer des gambits ? Cette question est intéressante, mais la réponse n’est pas aisée. Pourquoi pas ! !Ceci est une réponse simple mais cependant plus profonde qu’il n’y paraît. En effet, un gambit n’est absolument pas synonyme de mauvais début ( !). Un gambit « sain » repose sur de solides bases positionnelles et stratégiques et me semble tout aussi « jouable » que bien des ouvertures dites classiques et/ou modernes. Les perspectives de gain y sont ni meilleures ( a voir !) ni moins bonnes, elles sont différentes. l’inconvénient majeur d’un gambit ne me semble pas être dans le gambit lui-même, mais plutôt dans le fait que le gambiteur dévoile très tôt une partie de son plan stratégique (mais une partie seulement).

Si dans le passé, le gambit EVANS était chose courante, cet oiseau est devenu une perle rare.

1.é4 e5 2.Cf3 Cc6 3.Fc4 Fc5

Harding a commenté ce coup de la façon suivante « Brave move ! black as no easy way out but it certainly requires courage and strong nerve to attempt 3..Fc5 » ! ! !

4.b4

Et voici le fameux gambit ! l’idée de base est relativement simple mais redoutablement efficace !

Après la prise du pion b4 les noirs vont devoir perdre pas mal de temps avec leur fou. Ce temps va permettre aux blancs de devancer les noirs dans le développement, de contrôler le centre, et de braquer leurs pièces vers le roi adverse. Il n ?est pas rare de voir ce dernier succomber sans jamais avoir eu le temps de roquer.

Cette ouverture très populaire chez les romantiques est cependant fondée sur de sérieuses bases positionnelles. Les noirs doivent faire très attention pour ne pas sombrer rapidement.

Il ne faut pas en conclure que les noirs soient irrémédiablement perdus ! Loin de la. Certes ils ne peuvent réagir violemment (contre gambit), mais ils ont le choix entre refuser le pion offert et l’accepter. Dans ce cas leur tache est simple : démonter que l’initiative blanche n ’est que temporaire et que la finale avec un pion de moins est perdante !

Ce gambit est remarquable à plus d’un titre. A mon sens, le plus remarquable est qu’il est le fruit d’un simple mortel, d’un amateur et non pas d’un grand Maître ! Merci monsieur EVANS pour ce merveilleux gambit.

4....Fxb4

Comment résister à la tentation ?
Toute la culture échiquéenne moderne pousse les noirs à accepter le pion quitte à le rendre plus tard dans de bonnes conditions.

5.c3 Fe7

La variante principale est 5 ..Fa5.(voire partie suivante).

5....Fc5 peut aisément conduire à ce que l’on nomme la position normale du gambit Evans.

Le retrait en e7 est cependant extrêmement logique : le fou revient défendre l’aile roi !

Cette retraite a cependant eu du mal a se faire reconnaître La logique n’est pas toujours logique !

6.Db3

Une suite marginale ; 5.d4 est bien plus courant. La sortie de la dame est sensée profiter de la seule faiblesse de recul du fou en e7 : il empêche la dame de défendre la case f7.

6....Ch6

6...Ca5 ? depuis une partie Wils-Winkinson Londres1964.
Curieusement c’est bien 6...Ca5 que Delannoy à choisi contre votre serviteur dans le tournoi Ajec 4624.(6.Ca5 7Fxf7 Rf8 8Da4 Cc6 9Fb3 Cf6 10d4 d6 11oo Cxe4 12 Dc4 De8 13d5 Ca5 14Dxe4 abandon)

7.d4 Ca5 8.Db5 !

Bien meilleur que 7.Da4 . En b5 l’action de la dame vise également le centre !

8....Cxc4 9.Fxh6

La justification de la sortie de la dame en b5.

9....gxh6 10.Dxc4 exd4 11.cxd4

Une position passionnante. Mais comment la juger ?

Le déficit matériel n’a pour le moment aucune importance. Plus important et le contrôle du centre, le développement et l’aile roi noire complètement disloquée ! Pour autant ceux-ci ne sont nullement perdus. A leur crédit nous pouvons dénombrer une paire de fous, une colonne ouverte, et. un pion de plus !

Cette position n’est pas nouvelle, elle date de 1835 et le conducteur blanc était Charles Mahé de La Bourdonnais !

Du vieux vin dans une bouteille neuve !

Le problème le plus urgent pour les noirs est la sécurité du Roi. Petit roque ? Grand roque ? La tentation d’utiliser la colonne g peut amener le roi noir a rester pour un temps au centre même s ’il sera impératif d’ouvrir la position pour la paire de fous.

11...c6

Un peu lent même si ce coup prend le contrôle de d5 et b5.

La préparation de d5 par 10....c6 n’est pas nécessaire. Les noirs préparent une expansion à l’aile dame mais pour faire quoi, dans quel but ?

Quel est le plan des noirs ?

10..d5 semble parfaitement jouable et peut être meilleur ; l’action au centre étant couplée à la libération de la paire de fous et à l’éventuelle utilisation de la colonne g. C ’est en tout cas une continuation plus dynamique que 10 ...c6.

12.Cc3 Tg8 13.oo b5

Wells-Lukacs 1993 avait continué par 13 d6
.

14.De2 ! ? d6

Un mélange de système. L’avance à l’aile dame ne va pas dans le sens d’une consolidation de la position noire ; une percée centrale de la part des blancs mettra en pièce le dispositif noir.

La stratégie blanche est désormais simple : neutraliser la pression sur g2, ouvrir la position au centre, et enfin entamer une chasse au roi noir resté au centre !

15.Tfe1

La partie va maintenant changer de caractéristiques. Fini les finesses stratégico-positionnelles de l’ouverture, place à la tactique !

Le jeu noir n ’a pas résolu tous leurs problèmes. La situation du roi commence à devenir extrêmement préoccupante : seul au centre face à la meute ! Pas de contre jeu à court terme, pas de possibilités de jeu actif ; reste la défense passive ?

Que peut on en conclure ? Comment les noirs peuvent-ils se retrouver dans une telle situation après seulement 14 coups ?

Toute la faute ( ? ? ?) en revient-elle à ce fameux gambit EVANS ?
Il y a une part de vrai dans tout cela, mais seulement une part !
Les raisons essentielles et fondamentales me semblent beaucoup plus psychologiques qu ’échiquéennes !

Un gambit, c ’est pas possible, cela ne peut pas être correct !
Et pourtant, Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tuer !
A sou-estimer un tel début, le conducteur des noirs va à la catastrophe ! Et cela est vrai pour beaucoup d’autres gambits voire même pour des ouvertures dites incorrectes ( ! !).

La psychologie à sa place même dans le jeu par correspondance.

Nous ne donnerons que peu de commentaires sur la suite de la partie, le plus intéressant (dans le cadre de cet article sur les gambits) étant la phase débutale, et la façon dont les noirs ont réagit en bien ou en mal. Les blancs ont l’avantage, place à l’attaque, go, go, go charger ! !Les solutions prises par les blancs ne sont peut être pas les plus rapides ni les meilleures, mais qui à dit seul le résultat compte ?

15.Fh3 16.g3 Tg6 17.d5 b4 18.Cd1 c5 19.e5 dxe5

La position s’ouvre sur un roi resté au centre ! Un vieux débat

La stratégie cède le pas à la tactique : sacrifice sacrifice mat (Fisher)

20.Cxe5 ! ? Dxd5 21.Db5+ Rd8 ? 22.Ce3 ! Dxe5 23.Tad1+ Td6 24.Cc4 Dxe1+ 25.Txe1 Te6 26.Ce5 Txe5 27.Txe5 Fe6 28.f4 Tc8 29.f5 Fd7 30.Td5 Tc7 31.Txd7+ abandon

Yvinec-Blacher 1981/1982 T2209

Que conclure de cette partie ?

En tout cas ce gambit semble parfaitement jouable (du point de vue des blancs), menant à des positions d’attaque sans de réelles possibilités de contre jeu actif pour les noirs. Après avoir encaissé le pion b4 les noirs doivent se résoudre à une longue défense et se battre pieds à pieds pour repousser l’attaque blanche et profiter en finale des faiblesses de la position blanche.

Si 5 ..Fé7 me semble une continuation positionnelle correcte , ce n ’est pas la suite principale. Le recul du fou en a5 est bien plus populaire même si ce damné fou devra encore perdre du temps pour se réfugier en b6, libérant a5 pour le Cc6. L’inconvénient majeur de cette suite est le peu de souplesse induite dans la position noire :un éventuel transfert du Fa5/b6 et du Cc6 vers l’aile roi n ’est vraiment pas simple !

En 1/16 de la coupe de France 1982 (82/16 D14) Deffontaine m ’a « planté » ce recul du fou avec en tête l’idée de Euwe censée donner l’égalité au noirs.

Regardons cette partie :

5....Fa5 6.d4 d6 7.Db3 Dd7 !

Un plan excellant : défense de f7, libération de la case d8 pour le Cc6 que des bonnes idées.

8.dxe5 dxe5 9.oo Fb6 10.Td1 De7 11.a4

Le plus joué dans cette position, mais pas la seule continuation

11.....a6 12.a5 Fc5

L’idée égalisatrice de Euwe. Pour l’éviter les blancs peuvent intervertir leurs 12° et 13° coup.

13.Fa3 Fxa3 14.Cxa3 Cf6 15.Fd5 oo 16.Cc4 Cd8

La défense tourne à plein rendement !
Le roi est bien à l’abri, f7 bien couvert, et les noirs envisagent de repousser lentement mais de façon méthodique les blancs. Il est temps de rendre le pion et de jouer sur les faiblesses de la position blanche.

17.Ccxe5 c6 18.Fc4 Fe6

Bigre !
Euwe aurait-il raison ?

Les noirs me semble bien. Leur position est agréable, sans faiblesse et relativement facile a conduire. Qu ’on obtenu les blancs ? Ou sont les continuations agressives, les possibilités d’attaque ?

l’initiative est toujours là, mais pour combien de temps ?Comment continuer ?Pas simple, pas simple ! !

Euwe a écrit un ouvrage remarquable Jugement et plan. Dans la présente situation si le jugement est relativement aisé à obtenir, pour le plan c ’est une autre histoire !pas simple pas simple

19.Tab1 Tb8 20.Tde1 Te8 21.Cd4 Dc5 22.Cxe6 Cxe6 23.Cd3 Dxa5

Un pion , et un.. !
Mais il n ’y avait rien d’urgent dans sa capture ; poser son jeu et continuer son développement me semble plus solide et plus fort.
Mais un pion est un pion !
Question de gout et de personnalité du joueur.

24.Ta1 Dc7 25.f4 b5 26.Fxe6 Txe6 27.e5 Db6+ 28.Rh1 Cg4 29.f5

Les blancs menacent d’être menaçant !

29... Th6 30.h3 Cf2+ 31.Cxf2 Dxf2 32.Tf1 Dg3
33.1/2-1/2

Nulle sur proposition des blancs.

Que conclure ?

L’approche de Euwe ne doit pas être sous estimée. Cette idée est logique, saine et semble donner de très bonnes chances au noirs .

Les blancs peuvent ils contrer cette idée ou bien doivent-ils l’éviter en intervertissant les 12° et 13°coups ?

Pour ma part après cette expérience, je préfère l’éviter !

Mais il faut bien reconnaître que cette suite, même si elle possède une force incontestable, n ’est absolument pas LA RÉFUTATION du gambit !

C ’est une suite forte, certes , mais pas une réfutation ; l’intervention des 12° et 13° coup me semble une réponse tout à fait pertinente méritant d’être testée dans d’autres parties.

Ce gambit, comme bien d’autres, me semble bien meilleur que sa réputation. Il est parfaitement jouable et sain. Entre les mains d’un joueur actif, le gambit Evans peut être une arme redoutable et mortelle. Les parties récentes de GMI ont sont une merveilleuse démonstration !

Alors n ’hésitons plus, plus de fausses pudeur, et osons jouer ce gambit Evans ! Suivons les traces de ces GMI, et sortons ce gambit (comme d’autres) de l’oubli dans lequel il est tombé.