Coupe du monde XII/section 15
préliminaires
Blancs :John Andersson (Angleterre) Noirs : Jean-Marc Yvinec (France)
1.e4
Un tournoi de style Coupe permet de réunir des joueurs d’horizons et de forces très différentes. Dans cette section 15, la force des joueurs varie entre 1980 et 2399 !(les non classés ayant d’office 2000).Le joueur ayant le classement le plus élevé (soit 2399) n’est autre que John Andersson, et il à les blancs, le « bougre » !
Autre particularité du système Coupe : seul le premier de chaque section est qualifié pour la phase suivante ! Il est donc nécessaire de gagner et ceci même avec les noirs alors..
1.. Cc6
Ok on y va ! Sous des abords quelques peu provocateurs (si, si !) cette défense repose cependant sur de solides bases positionnelles (si, si j’insiste).Elle permet plusieurs approches très différentes selon la volonté des deux protagonistes ; des positions fermées voire très fermées (Lappka-Yvinec)ou à l’opposé des positions très ouvertes voire sauvages et entre ces deux extrèmes.
2.Cf3
L’option blanche la plus courante aujourd’hui. L’idée est simple mais perfide. Soit Les noirs abdiquent et quittent les sentiers de la Nimzovitch, soit ils sont obligés d’accepter quelques risques supplémentaires.
2 ..Cf6
Surprise ! Les noirs ont plusieurs réponses possibles 2..e5,2..d6,2..e6, 2..d5,2..f5 et 2..Cf6.
Par 2..e5, les noirs acceptent de quitter les schémas de le Nimzovitch en ayant évité le gambit roi, la partie du centre, l’Ecossaise, et divers gambits comme le danois le gambit écossais et autre Goering. Ils acceptent cependant une éventuelle transposition vers la Viennoise (et le gambit viennois) défendu par Cc6.
- 2..e6 permet de transposer vers des positions de type Française avec un Cc6 précoce où les blancs peuvent profiter du fait que le cavalier b1 est encore à l’écurie.
- 2..d5 est une continuation de type Scandinave où l’absence de pion en d4 ouvre des possibilités supplémentaires aux blancs.
- 2...f5 est à ce jour expérimental.
Les suites 2..Cf6 ,2..d5 et 2..f5 sont les réponses noirs les plus agressives, les plus risquées, mais également les plus dynamiques.
3.e5 Cg4
Surprise ! !
Pas d’Alekhine, les noirs veulent garder (à tout prix) un caractère Nimzovitch à la partie.
Cette variante à un nom (si, si !) : El Colompio.
Son idée fondamentale est relativement simple : affaiblir le pion e4, le forcer à avancer en e5, et pilonner cette dernière case !
Une tournure d’esprit très agressive, mais cependant relativement proche des idées de l’Alekhine.
4.d4 d6 5.h3 Ch6
Et un cavalier à la bande !
Herr Tarrasch doit s’en retourner dans sa tombe.
Comment peut-on jouer comme cela ?
El Colompio est t elle jouable ?
Ne serait-ce pas que du bluff ?
La décision d’utiliser El Colompio à été prise par les noirs l’ors de leur préparation pour ce tournoi.
Pour diverses raisons les réponses 2..d6, 2..e5,2..e6 et 2..d5 n’ont pas été retenues, resté donc à choisir autres choses tout en restant dans l’esprit du début.
Si El Colmpio apparaît comme une suite risquée, que dire du tumultueux 2..f5 ! ?
La position du cavalier en h6 (et la possibilité Fxh6) ne doit pas perturber outre mesure les noirs.
Cette configuration apparaît dans diverses ouvertures, par exemple dans la deux cavaliers variante Steinitz (voir partie Fisher-Bisguier) et dans la Francaise variante d’avance.
Dans ces deux exemples les conséquences d’un Fxh6(h3) semblent tout à fait acceptables pour le joueur ayant commis cette « hérésie » !
El Columpio est naît dans le nord de l’Espagne , on la rencontre dans quelques (rares) parties à la pendule et par correspondance parmi certains fanatiques de la Nimzovitch. Comment doivent réagir les blancs ?Comment continuer ?
J ’imagine avec délectation les questions devant traversées l’esprit du joueur blanc :
c’est possible ca ?
c’est jouable ce « truc » ?
Cela se saurait !
Il doit bien y avoir une réfutation quelque part à une conduite aussi inconvenante de la part des noirs !
Comme bien d’autres débuts risqués, El Columpio est sensé (entre autre) provoquer un choc sur le joueur blanc, générer doute et confusion dans son esprit, et le pousser vers une « réfutation » violente (très) et rapide (trop).
6.exd6
Les blancs n’osent pas s’engager avec 5.Fxh6, car après 5..gxh6, la position obtenue n’est pas simple : structure de pions fracassée à l’aile roi (avec une prise externe g7xh6) mais paire de fous et colonne ouverte sur un futur petit roque. Ceci compense-t-il cela ?Que des compensations existent, cela est indéniable ! Quelles soient suffisante ?là c’est une autre affaire !
Pour ma part, mon optimisme naturel me pousse à considérer cette position comme parfaitement jouable pour tout joueur acceptant certains risques.
L’échange en d6 est sans doute la suite blanche la plus sage (raisonnable !?) et peut être la meilleure. C’est la première suite à avoir été tentée contre El Columpio.5.Fb5 et 5.Fxh6 sont des suites également « valables ».
6 ..Dxd6 !
La reprise par la dame est nécessaire pour garder un caractère dynamique à la position, et il faut bien contrer 7.d5 !
7.Ca3 !
Et encore un cavalier à la bande !
Pauvre Tarrasch ! !
Bigre quel début. Que de provocations et de paradoxes !
Et le « pire », c’est que ce coup est fort, très fort. Ce cavalier en a3 est en transit, il va pouvoir se recentrer très efficacement en e3 et ce avec gain de temps.
7..a6 ! 8.Cc4 Dd5 9.Fxh6
Un coup responsable ; on retrouve la variante 6.Fxh6.
La tentation est trop forte de punir ce scandaleux cavalier noir, tout en démolissant la structure de pions à l’aile roi. Il va bien falloir maintenant répondre à cette fameuse question rester sans réponse au sixième coup blanc : les compensations sont-elles suffisantes ?
9 ..gxh6 10.Ce3 Dd6 11.c3 e5 ! ?
Surprise ! ! !
Bigre !
Bigre !
Par ce gambit violent et ténébreux, la partie va tourner au pugilat.
Ca pour de l’audace, c’est de l’audace !
Certes on dit toujours que le centre de l’échiquier représente les Balkans, mais à ce point là !
Depuis 2..Cf6, les noirs luttent avec acharnement (obstination) pour un jeu central (e5) et recherchent l’initiative à tout prix. Ok c’est risqué mais la limite à-elle était franchie ?
A la paire de fous et à la colonne ouverte, les noirs veulent ajouter le contrôle du centre et l’avance de développement au nombre des compensations.
12.Cc4 De7 13.Cfxe5 !
Surprise ! Mais pour les noirs cette fois ci.
Ces derniers avaient jugés (très hâtivement) ce coup comme impossible à cause de la réplique 12..f6.
Oui, mais aux échecs les choses ne sont jamais simple .Jouer risqué et provocateur c’est (parfois) bien, mais jouer juste c’est mieux. Car alors la moindre faille dans l’analyse peut s’avérer catastrophique. Heureusement, dans le cas présent les conséquences de l’inexactitude noire restent très limitées.
13..Cxe5 14.dxe5 Fe6 15.Df3 OOO
Le roi noir est mis à l’abri, b7 est protégé, la Ta8 mise en jeu et la pression monte au centre. La présente position est passionnante. Les compensations évoquées plus haut (sixième et neuvième coups blancs) tournent à plein régime : paire de fous, avance de développement, contrôle central reste à activer la paire de fous et à valoriser la colonne g mais patience.
Le pion de moins n’à pour le moment aucune espèce d’importance .Plus grave est la structure des pions noirs à l’aile roi, complètement éclatée ?Plus grave car cette faiblesse à un caractère permanent et les perspectives en finale avec une telle structure militent pour éviter tout types de finales. C’est actuellement le seul point « noir » de la position. Cette faiblesse, réelle, est pour le moment légère, mais elle ne fera que croître plus on se rapprochera de la finale à moins que d’autres compensations soient trouvées.
16.Fe2 Tg8 17.OO Fd5
Surprise !les noirs vont provoquer l’échange des dames.A première vue , ce n’est pas ainsi que l’on doit jouer un gambit. Oui mais voilà, certaines considérations positionnelles sont incontournables. Une paire de fous c’est bien, mais le fou f8 ne joue pas brimé qu’il est par cette De7.
18.Df5+ De6 19.Dxe6 Fxe6 20.Tfd1 Txd1 21.Tad1 Fxh3
Enfin ! L’équilibre matériel est rétabli et le fou f8 n’a plus sa diagonale bouchée par la dame. Mais s’aura-t-il profiter de sa liberté longuement attendue ?
22.Ff3 Fe6 23.Fd5 Tg5 !
Que disions nous comme commentaires au troisième coup noir en ce qui concerne e5 ?
Les noirs font preuve d ’une véritable obstination (obsession ?) concernant cette case, et articule toute leur partie sur ce pivot ; ils le « pilonne » de toutes les manières disponibles.
24.a4 h5
Avec l’idée d’assurer la position de la Tg5 mais également de fournir au Ff8 une éventuelle porte de sortie en h6, même si en h5 le pion est potentiellement plus faible qu’en h6.
25.a5 Fxd5
Et encore un échange ! après les dames les fous.
Finis les « two jans »bienvenue en finale !
Il devient urgent pour les noirs d ?activer au maximum leurs forces restantes pour contre balancer les faiblesses de leur structure de pions.
26.Txd5 f6
Obsession et obstination ; en tout cas les noirs restent cohérents avec leur plan stratégique : se servir de la cible e5 pour rechercher le dynamisme, l’initiative et commencer à éliminer leurs faiblesses.
27.Td3 fxe5 28.Tf3 Fg7
Enfin le fou peut bouger. Il lui a fallu attendre le 28° coup pour voir son horizon boucher en e5 ! !
29.Tf7 Rd8
Il est temps pour les deux joueurs d’activer les rois.A noter l’excellente position de la tour blanche qui tout en occupant la 7° traverse coupe le roi noir de son aile roi.
30.Rh2 e4 !
Un coup aux visées multiples, ouvrant (quelque peu) la diagonale du Fg7, limitant les degrés de liberté du pion f2 et ouvrant la 5° traverse à la tour.
31.Rh3 Tc5
Les échanges continuent, mais c’est pour la bonne cause : la tour recherche un maximum d’activité et la structure de pion blanche à un caractère un peu « statique ».
Les blancs aussi ont quelques faiblesses de pions.
32.Txg7 Txc4 33.Txh7 Tc5 34.Rh4 Tf5
Un coup important. Il est urgent de faire disparaître le pion f2 et de rendre passé le pion e4 ; toujours cette recherche de l’activité maximum.
La physionomie du combat à bien changée depuis le 17°coup. Si le dynamisme est toujours présent, il ne vise plus le même objectif ; les rêves d’attaques meurtrières sur le roi blancs ont disparus laissant la place à une finale relativement équilibrée. Les noirs commencent à rêver au partage des points ?
Dans la phase débutale de la partie, nous avons vu les noirs adopter une attitude provocatrice et agressive signifiant qu’ils jouaient pour la victoire ; nous les voyons maintenant se satisfaire d’un éventuel partage des points. Mais faire nulle avec les noirs contre un adversaire nettement supérieur n’est-il pas également une forme de victoire ?
35.Txh5 Txf2 36.g4 Txb2
Les noirs ont habilement menés leur barque les pions faibles f et h ont disparus, et la tour est au maximum de ses capacité. Reste à régler le sort de ce pion g blanc et la position ne présentera plus aucun danger.
37.Te5 Th2+ 38.Rg5 Tc2 39.Rf4 Txc3 40.g5 Tf3+ ! 41.Rg4
et nulle
sur proposition des blancs que les noirs ont acceptés immédiatement après une rapide visite sur le site Web de l’Iccf ;John Andersson y est donné avec un classement de 2459 ! ! !.
Une conclusion pacifique, mais nullement un nulle de salon !
Merci El Columpio !Cette continuation me semble être parfaitement jouable en réponse à 2.Cf3.. tout en étant moins risqué que 2..f5. Les bases positionnelles sont réelles et par certains cotes proche de l’Alekhine.
El Columpio semble être une bonne alternative à 2..d6, et beaucoup moins connue. Comme quoi une bonne préparation de ses ouvertures est toujours payante.
La preuve, ce n’est pas tous les jours que l’on peut contrer un joueur classé à 2399 (2459 ! !) et ce avec les noirs même si l’issue de la partie est « nulle » !
Face à l’agressivité et à l’originalité des noirs, les blancs ont répondu calmement et posément par 6.exd6 (rappelant la variante d’échange de la défense Alekhine) et par 11.c3 assurant le centre, une bonne suite positionnelle .
La réponse 11 e5 ne peut être jugé uniquement sur des critères échiquéens, elle fait intervenir la personnalité du joueur, son style, son approche du combat bref que du subjectif !
Ce gambit est-il correct ?
Je n’en sait rien !
Est-il jouable ?
Alors là je dit OUI !
En tout cas les compensations existent, et si elles ne sont pas entièrement à la hauteur de l’investissement initial, elles n’en sont pas très loin. Le jeu noir devient plus « limpide », plus facile à conduire quoique et les blancs semblent avoir pas mal de difficultés pour y démontrer un quelconque avantage.
Autre point remarquable : les deux joueurs tout en respectant à la lettre les impératifs de la position, n’en ont pas moins écorné quelque peu les conceptions (dogmes) stratégiques universellement admises. Que de cavaliers à la bande !
Et en plus ces mouvement sont justifiés car s’inscrivant parfaitement dans les plans stratégiques des deux protagonistes.
Voilà une partie comme je les aime, bien « remplie », un véritable combat où l’agressivité et la prise de risques ne dépassent pas la limite du « raisonnable ».
Certes cette limite est purement subjective et est intimement liée au chaque joueur, à sa personnalité, à son style et à sa propre approche du « combat » échiquéen.
Ce qui semble raisonnable et acceptable pour un joueur ne peut paraître que folie et risques inutiles pour un autre.
Mais y à-t-il une vérité aux échecs, une seule et unique.. ?