Blocus

Coupe du Monde XII

Section 15,2000

Hans Joachim LAPPKA (Allemagne)- Jean-marc Yvinec

1.e4 Cç6

Le choix d’un début est un instant critique, délicat et important. Plusieurs aspects interviennent dans ce choix :

• Un aspect purement échiquéen : adéquation entre le style du joueur et les positions issues de ladite ouverture,

• Un aspect psychologique : ouverture surprise, peu jouée, avec un risque limité d ?être confronté à une nouveauté théorique, je joue sur mon terrain pas toi !

• * Un aspect externe : lié au type de compétition, à la force des deux joueurs et à l ?enjeu réel de la partie.

A notre niveau d’amateurs, à part quelques rares exceptions, tout semble jouable. Il n’y a plus de bons ou de mauvais débuts.

2.d4 d5

La suite 2.d4 d5 est la plus naturelle mais ce n’est pas la seule. On rencontre aussi 2.Cf3, 2.f4, 2.Cç3.

Par 2..d5, les noirs restent dans l’esprit de la Nimzovitch.

2..e5 est parfaitement recevable également, permettant une possible transposition vers l’Ecossaise.

3.e5

Les blancs ferment le jeu. 3.Cç3 oriente la partie vers des eaux plus turbulentes. La partie va maintenant ressembler à une Française, variante d’avance, avec deux différences majeures :

• Le fou c8 est libre,

• Le cavalier c6 gêne la poussée du pion ç.

3..Ff5

Nimzovitch avait l ?habitude de répondre par 3 ?.f6 ! ?, continuation devenue rare aujourd’hui, sans doute à tort.

4.c3 e6

La formation de la chaîne de pions est maintenant complète. Les différents aspects positionnels et stratégiques de cette chaîne ont été remarquablement analysés par Nimzovitch dans ses ouvrages Mon Système et La Pratique de mon Système. Essayons de résumer (très/trop) brièvement son analyse qui s’appuie sur de nombreux exemples pratiques de la variante d’Avance de la Défense Française.

D’après ce grand joueur, toute la philosophie de la chaîne de Pions se résume dans la notion de HANDICAP. Les pions d4 et e5 doivent la position noire : en restreignant la liberté de leur Fou Roi et en gênant la communication de leurs forces d’une aile à l’autre. Selon lui, tout commence par un léger handicap, qui doit progressivement s’accroître pour, finalement, paralyser la position adverse toute entière. Cet objectif atteint, la phase ultime de destruction peut enfin commencer. Son célèbre aphorisme : Handicaper, Bloquer, Détruire, prend ici toute sa force !

Examinons maintenant différents plans envisageables pour chaque camp dans cette position :

• Côté blancs, les pions de et e5 portent toute la force du handicap, il convient donc de les soutenir et de les renforcer. En cas d’échange sur ces cases, les repreneurs devront être des bloqueurs efficaces. Une chaîne de pions génère, toujours selon Nimzovitch, deux champs de bataille : au centre et à l ?aile Roi.
  Le centre pourra être attaqué par l’avance f2-f4-f5 suivie de le pénétration d’une tour après un échange en e6 et la chute du centre. D’autre part, la présence d’un pion blanc en e5 affaiblit le futur petit roque noir qui ne pourra pas être protégé par un Cavalier en f6.
  Cette mise à l’étroit de l’aile Roi noire, alliée au manque de communication entre les deux ailes, offre de bonnes chances d’attaque dans ce secteur.
  Un mixage des deux idées est possible selon ce que devient le pion blancs en f5, échange en e6 ou avance en f6, en fonction de la disposition des pièces noires.
  Dans tous les cas, la chaîne de pions (ou les bloqueurs de remplacement) doit être conservée.

• Côté noir, deux idées fortes : lutter contre le handicap généré par la chaîne de pion blancs et prendre des mesures prophylactiques contre les deux plans évoqués ci-dessus.
  Le premier point peut-être réalisé par les poussées f5 et surtout ç5, le deuxième par le contrôle des cases blanches f5/g4.
  Dans cette optique, la configuration efficace est : un Cavalier en f5 et un pion en h5. Là aussi un mixage est possible, par exemple forcer d’abord l’adversaire à mobiliser des forces supplémentaires à l’aile Roi puis passer à l’attaque de la chaîne de pions par c5 tout en gardant à l’esprit cet autre aphorisme de Nimzovitch : « La lutte contre la chaîne de pions n’arrive jamais assez tôt. »

Toutes ces idées, issues de la Française variante d’avance , demandent ici une adaptation, le Fou Dame noir étant développé à l’extérieur de la chaîne de pions et le Cavalier Dame noir empêchant la poussée thématique c7-c5 !

Le handicap crée par les blancs est plus faible et l’attaque des noirs contre la chaîne de pions moins urgente. Les noirs vont prendre plus naturellement des mesures prophylactiques à l’aile Roi avant de préparer les poussées c7-c5 et/ou f7-f6.

La position du pion f des blancs est essentielle pour que les noirs puissent bien identifier quel Pion (f ou ç) il faut bouger.
Avec un pion en f4, une rupture par c7-c5 est plus réaliste (après transfert du Cavalier c6). Ces considérations éclairent également la bonne qualité su quatrième coup blanc, 4.c3, qui soutient le centre tout en privant les noirs de la case b4.

5.Fd3 Fxd3

5..Cge7 est jouable.
L’échange des fous de cases blanches est en accord avec le plan des noirs qui libèrent ainsi la case f5 pour un Cavalier tout en éliminant un défenseur des cases blanches de l’adversaire.
En effet, d’après la disposition des pions blancs, le fou c1 a peu d’avenir et peut se transformer rapidement en mauvais fou.
A noter que si les pions d4 et e5 handicapent la position noire, les pions noirs e6 et d5 peuvent être considérés comme leurs bloqueurs, contribuant du même coup à la faible mobilité du fou dame blanc !

6.Dxd3 Dd7

Les noirs renforcent leurs cases blanches tout en préparant le grand roque.

7.f4

Cette avance va permettre aux noirs d’éclaircir les plans définis plus haut.

7..Cge7 8.Fe3 h5 9.Cf3 Cf5

Les noirs ont atteint un premier objectif.
La disposition Cavalier f5/pion h5 prive pour un certain temps les blancs de toute activité à l’aile Roi. ’
Cependant la suite ne semble guère facile.
Comment terminer le développement ?
Comment assurer la sécurité du Roi ?
Comment gérer conjointement action prophylactique à l’aile Roi et attaque de d4 par la poussée c7-c5 ?

10.Ff2 Fe7 11.Cbd2 a5 ! ?

Faisons un premier bilan de l’ouverture :

• Les blancs ont un fort centre de pions, stable mais statique. Tous leurs efforts doivent se porter sur l’aile Roi.
  Le moindre faux pas et tout retard dans la réalisation d’actions concrètes seront durement sanctionnés.
  Le fou de cases noires est emmuré et ne peut rêver que d’un échange avec un cavalier adverse ou de retrouver le soleil par le trou de souris h4. La poussée f4-f5 est au point mort et à l’aile Roi tout reste à faire, à commencer par faire sauter les verrous noirs sur f5 et g4.
  Bien que difficile à mettre en œuvre, ce plan est réalisable. Il nécessite l’échange du cavalier f5 et la préparation de l’avance g2-g4.
  Pour cela, la position du Roi blanc est importante (au centre, à l’aile Dame ou à l’aile Roi). Enfin les blancs ne doivent pas oublier que tout échange les rapprochera d’une finale difficile.

• Pour les noirs tout va bien côté prophylaxie !
  Les cases f5 et g4 sont sous contrôle et tout danger immédiat dans ce secteur est écarté.
  Quelques points restent à régler : la place du Roi, le développement des tours, la défense éventuelle du pion h5.
  Comment d’autre part passer de la prophylaxie à une action concrète contre la chaîne de pions adverses ?
  Reprenons.
  Si nécessaire le pion h sera poussé en h4 car sa défense par g6 génèrerait pas mal de trous dans la position.
  En h4, il sera défendu par le cavalier f5, le fou e7 et la tour h8.
  Son action sera légèrement différente qu’en h5 et nécessitera le maintien d’une tour en h8.
  La mise en communication des tours se fait en général par un roque mais la Th8 doit rester en h8.
  Aussi, la place du Roi semble être du côté Dame.
  Cependant, un grand roque pourrait attirer une avalanche de pions blancs dans ce secteur.
  Pas simple !

Les noirs ont donc échafaudé un plan à base de 11..a5 ! ?
L’idée est double : prophylaxie (encore !) envers une avalanche de pions blancs à l’aile Dame, tout en permettant la manœuvre de Dame qui suit pour accroître le contrôle des cases blanches et donner plus de souplesse à la position noire, quelque peu rigide jusque-là.
Ce plan présente cependant de graves inconvénients : il est lent, ne résout pas le problème de la sécurité du Roi ni du développement des tours, diffère l’attaque de la chaîne de pions blancs par c7-c5, rend même cette manœuvre dorénavant plus difficile à réaliser à cause de l’affaiblissement de l’aile Dame, enlève une case importante au Cavalier c6.

Mais les noirs ont quand même joué 11..a5 ! ? « Un mauvais (?) plan vaut mieux que pas de plan du tout ! ! »

12.a4 b6 13.b3 Dc8

Tout cela est bien lent !

Que cherchent les blancs ?
Une éventuelle démonstration par c4 serait contrée par Cb4.

Par 13..Dc8, la Dame se dirige (lentement) vers a6 pour contrer la seule pièce blanche active : la Dame.

14.O-O Da6

Les trois derniers coups blancs n’ont rien entrepris à l’aile roi.
La position noire doit être considérée comme légèrement meilleure car eux seuls sont en mesure de passer à un jeu actif (enfin !).
Il est maintenant temps de s’occuper sérieusement de cette maudite chaîne de pions.

15.Dxa6 Txa6

La question d’un éventuel grand roque est réglée.

16.h3 h4

Et encore un coup de pion !

L’aile roi est fermement verrouillée mais cela mobilise énormément de matériel (Cavalier f5, Fou e7, Tour h8) .
En restera -t-il assez pour une action à l’aile Dame ?

17.Ce1

Les blancs veulent poursuivre par Cc2 puis Ce3 pour agir sur f5 !

17..Ta8

La tour se recycle vers des horizons plus actifs mais là encore, que tout cela est lent !

18.Cc2 Td8

Renforce d5 pour éviter que les blancs glissent c4.
Mais où est donc passé le plan « actif » de pousser c5 ?

19.Ce3 1/2-1/2.

Nulle sur propositions des noirs ! !

La conclusion de cette courte partie peut surprendre.
Les noirs semblent toujours légèrement mieux et leur position est saine.
La difficulté réside dans la définition d’un plan viable est raisonnablement actif pour lutter contre les pions blancs.
La lutte passe par deux ruptures : c5 et/ou f6.

L’avance f6 a l’inconvénient de permettre l’ouverture de la colonne f en cas de f6xe5.
Reste c5, mais que faire du cavalier c6 ?!
Comment mobiliser le matériel nécessaire à une action à l’aile dame ?

Si les blancs jouent normalement en appuyant sur h4 et en provoquant des échanges massifs sur la colonne ç, les chances de gain des Noirs semblent bien faibles.
Ils ont trop tardé à attaquer la chaîne de pions blancs.
Reprenons l’aphorisme de Nimzovitch : « Handicaper-Bloquer-Détruire ». dans cette partie, si les noirs ont su handicaper et bloquer, ils n’ont pas su détruire !

Cette partie doit-elle être considérée comme une nulle de salon ?
Je ne le pense pas !
Certes, elle ne contient ni combinaison, ni pointe tactique, mais les idées stratégiques et positionnelles sont bien présentes.
La manœuvre de la Dame Noire, pour ne citer qu’elle, est intéressante à défaut d’être décisive ( !).

Autre conclusion.
Dans cette ouverture, comment les doivent-ils s’y prendre pour briser la prophylaxie des noirs à l’aile roi ?
La question est simple mais la réponse l’est beaucoup moins si on en reste à cette partie !
Les noirs n’ont jamais été menacés et ont obtenu relativement facilement une position prometteuse.
Il est dommage qu’ils n’aient pas su en profiter.

La variante d’avance de la Nimzovitch reste une arme dangereuse rappelant la variante similaire de la Française.
Dans ce genre de parties la conception d’un plan semble plus important que le calcul des variantes concrètes.
Les blancs ont un centre fort, stable et, à la différence de la Française, non attaquable immédiatement par la poussée c7-c5.
Ils ont le temps de disposer leurs forces pour entreprendre une action d’envergure à l’aile roi car les noirs n’ont pas de contre jeu actif à faire valoir dans un premier temps.
Uniquement prophylaxie et stratégie de contrôle des cases blanches. Le succès des blancs reposent sur leur compréhension de la position et la mise en place d’un plan cohérent : jugement et plan !